Actes du colloque

Le projet du Colloque international organisé par le GRAL et le SRSC – deux groupes de recherche de l’Université Libre de Bruxelles – était de penser la rhétorique dans et avec le temps présent, loin des Écoles et des idéologies qui la sclérosent ou la restreignent. À ce titre, nous avions fait l’hypothèse que l’étude de la rhétorique – de son objet, de ses usages, fonctions – constituait une occasion de mieux comprendre la raison pratique. Il s’agissait pour nous d’engager une discussion sur son arrière-plan épistémologique mais aussi sur son utilité sociale et politique. Pour cela, nous devions faire un pari pour la connaissance et lancer un défi à nos traditions intellectuelles: tenter le décloisonnement des disciplines pour s’engager dans une réflexion commune sur des objets communs.

Décider, délibérer, consoler, rassembler, diviser, rassurer, inquiéter… tous ces usages semblent naturels et communs à tous les hommes, quelle que soit leur culture, leur époque, leur condition. Témoigner, critiquer, haranguer, juger, célébrer, avouer… toutes ces fonctions semblent toujours associées à des institutions et à des contextes sociaux déterminés. Pourtant, toutes ces actions illustrent d’abord ce que l’on fait lorsqu’on pratique la rhétorique. Sont-elles naturelles au point de définir le propre de l’humanité ? Sont-elles culturelles au point de se limiter à des lieux et à des époques donnés ? Ces deux points de vue sont-ils irréconciliables ? Nous ne le pensons pas. C’est pourquoi nous proposions durant ce Colloque de repartir de la vision naturaliste et humaniste d’Aristote qui, le premier, a pensé et proposé un modèle de la rhétorique d’une étonnante actualité.

Riche en débat, le colloque a largement répondu à ces attentes. Nous sommes heureux d’en proposer ici quelques études, qui ont permis d’alimenter nos réflexions sur le rôle prépondérant de la rhétorique dans nos sociétés.

Sommaire

Marc Angenot, De l’argumentation à l’intimidation

Résumé: L’exposé pose la question du passage, dans la discussion, de l’argumentation à l’intimidation. Certains des procédés qui visent à «clouer le bec» à l’adversaire sont vieux comme la rhétorique éristique mais d’autres qui fleurissent dans les médias et sur le web aujourd’hui ont un petit air de nouveauté.
Mots-clés: intimidation, éristique, pathos de l’indignation, sophisme ad baculum, victimalisme.

André Duhamel, La rhétorique dans la délibération démocratique : une raison publique incarnée

Résumé : Le développement récent des théories dites de la « démocratie délibérative » semble offrir un terrain d’élection pour la reprise de la rhétorique dans le domaine politique. Ces théories, cependant, reprennent le réflexe ancien de l’exclusion de la rhétorique du discours et de la raison publique. Nous chercherons à montrer que cette exclusion dépend de présupposés philosophiques rationalistes que la rhétorique a toujours cherché à contourner, et qu’un retour de la rhétorique dans les délibérations démocratiques, comme l’y invite déjà certaines variantes de la démocratie délibérative, serait susceptible de donner corps à la raison en ce domaine. La rhétorique peut-elle être un type de discours légitime dans une délibération qui se veut démocratique ? Pourrait-on espérer construire sur ce modèle une théorie de la démocratie délibérative ? L’accent mis sur la communication, la discussion et le dialogue en philosophie politique récente semble constituer un terrain d’accueil favorable pour cette interrogation et ce projet. Pourtant, rien n’est moins évident, et cette entreprise demeure difficile sinon condamnée. Ce texte, avec toutes les imperfections propres à une première exploration, s’efforcera d’en comprendre les raisons, et d’examiner à quelles conditions ces difficultés pourraient être atténuées.
Mots-clés : Démocratie, délibération, raison publique, rhétorique

Ekkehard Eggs, Evaluer : évaluations méta-communicatives, topoï préférentiels et moules évaluatifs

Résumé : Cette étude analyse les trois formes principales d’évaluation linguistico-rhétorique. Les évaluations méta-communicatives découlent du principe du choix optimal de la rhétorique traditionnelle qui a également analysé diverses formes de topoï préférentiels. Par contre, les moules évaluatifs linguistiques, qui légitiment ‒ comme les topoï ‒ des arguments ad rem, n’y figurent pas.
Mots-clés : évaluations méta-communicatives / ad rem, topoï préférentiels, moules évaluatifs

Gissinger-Bosse Célia, Vers une conversion démocratique des jurés populaires en cour d’assises : l’intime conviction

Résumé : L’usage rhétorique que nous nous proposons d’aborder est celui du jugement. Notre souhaitons confronter le témoignage d’anciens jurés que nous avons rencontrés, à la raison pratique. Nous nous proposons de montrer qu’alors que la notion d’intime conviction partage les juristes entre la raison et les émotions, l’expérience des jurés montre les liens entre ces deux termes, ou entre la prudence et la pratique. Nous souhaitons en particulier montrer l’actualité de la rhétorique d’Aristote au travers de l’expérience des jurés d’assises. En définitive, nous montrerons que le jugement dans le cadre des assises permet une véritable conversion démocratique.
Mots-clés : conversion, démocratie, jury populaire, parole, prudence.

Francis Goyet, Rhétorique et simplexité : esthétique de la décision

Résumé : Le mot d’esthétique cherche à décrire les sentiments de l’auditeur-juge, celui qui décide à l’issue d’un discours. Deux traits régissent cette esthétique. Le premier est le passage irréversible du temps. Une dramaturgie du sablier se met en place, qui reproduit les trois temps de toute décision comme de toute phronèsis, crise ou passé, décision proprement dite ou présent, application ou avenir. Le second trait est le sens des responsabilités. L’auditeur-juge éprouve qu’il est au pied du mur, parce que sa conclusion est une action, dont il paiera le prix : c’est reformuler Vincent Descombes sur le « sujet pratique ».
Mots clés : décision, dirigeant, phronèsis, rhétorique, simplexité.

Narcís Iglésias, Fonctions de la rhétorique dans « une situation fortement argumentative » : le débat politique autour de l’indépendance de la Catalogne

Résumé : Depuis 2012, l’indépendance de la Catalogne est devenue une « situation fortement argumentative » (Plantin 2003), avec une répercussion importante : de nombreux médias espagnols et internationaux ont consacré plusieurs documentaires et reportages à cette affaire. Le débat toujours ouvert sur le statut politique de la Catalogne en Espagne s’est articulé autour d’un ensemble de « questions argumentatives », parmi lesquelles on relève celles de l’intégration de la Catalogne indépendante au sein de l’Union Européenne, ou de la légalité du référendum dans la législation espagnole ou européenne. Nous proposons ici d’analyser les fonctions argumentatives dans le débat politique, notamment celles qui concernent le binôme encourager /décourager. Dans notre analyse, nous allons comparer le discours indépendantiste de deux partis politiques et celui, unioniste, de deux autres, et ce, par rapport à la nature de leurs arguments et de leurs stratégies discursives.
Mots-clés : discours politique, polarisation, métaphore, indépendance

Ilon Laurer, Rhetoric as Food for Thought:  The Roman Reception of Greek Rhetorical Theory

Abstract: This paper examines translation as an action by explaining the connections Roman rhetoricians saw between translation and rhetorical training. Many of the fundamental elements of the translation process were understood using cultivation metaphors, metaphors that repeatedly recur in Rome’s theoretical treatises. Such metaphors, express how translation linked the rhetorical activities of one culture to those of another and they are capable of supplying a useful framework for understanding and appreciating how rhetoric achieves its apparent continuity despite being the product of a broad range of particular and seemingly incommensurate rhetorical cultures. Cultivation operates as an assimilative process that engenders the expansion of rhetorical culture that potentially fosters unique and potentially conflicting forms of cultural interdependence. The strength of the cultivation metaphor lies in its ability to reconcile these tensions, expressing translation ultimately as a process of rhetorical growth, expansion, and development. One point of emphasis emerging from the cultivation metaphor is its emphasis upon roots and rootedness, an emphasis that stresses the commonality, connectivity, and debt that rhetorical cultures have to preceding rhetorical cultures. But this emphasis upon inheritance is balanced by an appreciation for the soil or fields of new rhetorical culture, an appreciation which enables rhetorical cultures to operate amidst their own unique rhetorical circumstances. Ultimately, this essay argues that the fundamental assumption of an inherited rhetorical tradition, of rhetoric’s tradition as an inheritance, a tradition that is alternately adapted and resisted, reflects the enduring influence of Rome’s most important contribution to rhetoric’s history.

Lttr13, Dénommer. Regards rhétoriques sur la terminologie linguistique

Résumé: Le discours du linguiste est, comme tout discours savant, traversé de gestes de dénomination, par lesquels le linguiste attribue un terme à un concept. La présente réflexion prend ces gestes pour objet, en les considérant principalement dans leur dimension énonciative. Après avoir distingué la dénomination de la désignation et de la définition, les auteurs en ébauchent une typologie rhétorique qui éclaire l’imaginaire entourant la dénomination en linguistique et, par là, les enjeux anthropologiques qu’elle rencontre.
Mots-clés: Dénomination, linguistique, terminologie.

Ana Lucia Magalhaes, Teaching Rhetoric to Technology Majors

Abstract: Programs offering majors in computer science and technology in general do not, by definition, place emphasis on teaching humanities. Most of those programs, however, encourage students to include non-technical courses in their academic plan of study.  The introduction of rhetoric in language classes in a technological college has been arguably successful. Basic concepts such as pathos, logos and ethos plus the essentials of argumentation have been easily learned and applied in exercises. There have been signs of improvement in oral and written communication because of understanding and application of discursive techniques. Those improvements were measured in a controlled experiment.
Keywords: rhetoric, technology, classes, ethos, argumentation.

Marco Mazzeo, The inverse performative: ordeal and active democracy

Abstract: There is a poor relative of judgement that situates itself at the crossroads of different rhetorical actions – between deciding and conciliating, between judgment and celebration. The ordeal (from the Anglo Saxon «or-dal», «supreme judgement») is a trial that establishes whether someone is telling the truth; we find it in ancient Greece as well as in contemporary populations in Central Africa.
Since it stands halfway between language and act, between the faculty of language and praxis, the ordeal articulates a rhetorical path which is often ignored. While for human animals omens, oracles and oaths function as stabilizers of the future, the ordeal takes on the role of stabilizer of the past. It is an inverse performative act in which it is not words that are made action but, rather, it is actions that are made word.
Keywords: anthropogenesis, democracy, oath, ordeal, performative

Elsa Pic et Grégory Furmaniak, Les modes rhétoriques comme lien entre genre textuel et grammaire : le cas de la Narration dans les articles de vulgarisation

Résumé : Cet article s’inscrit dans un projet comparant les propriétés grammaticales du discours spécialisé et vulgarisé en anglais. Nous montrons que, pour expliquer les différences linguistiques entre les genres, un niveau d’analyse intermédiaire, celui des modes rhétoriques, est indispensable. Nous montrons, à travers la Narration, que leur distribution permet de différencier les genres (leur fonction les rendant plus ou moins compatibles avec certains genres) mais aussi de prédire les propriétés linguistiques d’un genre donné. Tout mode rhétorique étant aussi défini par des propriétés linguistiques, la présence de ces propriétés dans un genre donné est corrélée à la présence de ce mode.
Mots-clés : discours spécialisé, grammaire, modes rhétoriques, narration, vulgarisation

Mohamed Saki, Mésentente ou dialogue de sourds ? Analyse de la réfutation dans Open Letter to His Holiness Pope Benedict XVI

Résumé : Nous analysons dans cet article les formes que prend la réfutation dans une lettre ouverte. Nous combinons l’analyse des actes réfutatifs avec la prise en considération du genre textuel auquel appartient le texte analyse, l’ethos que ses scripteurs construisent et le travail de figuration qui le sous-tend. Nous verrons, au terme de notre analyse, que les actes réfutatifs dans cette lettre ouverte soulèvent la question du dissensus et de la polémicité. Nous pourrons ainsi vérifier si tout désaccord est l’expression d’un dialogue de sourds qui aliène irrémédiablement les interactants les uns des autres ou s’il ne s’agit pas de l’expression d’une mésentente qui s’exprime au sein d’une communauté dissensuelle.
Mots clés : acte réfutatif, communauté dissensuelle, concession, dissensus, dialogue de sourds, éthos, négation, face, mésentente, questions rhétoriques.

Luigi Spina, Menacer, argumenter, persuader

Resumé: Dans la liste des verbes à la première personne du pluriel que Quintilien (Institutio oratoria III 4,3) suggère pour poser la question des genres des discours rhétoriques, on ne se trouve pas un verbe qui puisse nous rappeler l’officium du « menacer» (par exemple minamur). Et pourtant, il y a d’autres verbes cités par Quintilien – par exemple terremus, obiurgamus, maledicimus -, qui nous autorisent, pour ainsi dire, à inclure la fonction de menacer dans le domaines rhétoriques de la persuasion et de l’argumentation. On peut menacer seulement si l’on affirme de menacer, c’est-à-dire, si l’on pose, verbalement, les conditions dont le manque permettrait l’accomplissement de la menace. Dans l’exposé on analysera des textes, ainsi tant anciens (grecs et latins) que modernes, pour vérifier cette hypothèse. La menace verbale, d’ailleurs, n’exclut pas la menace physique (du par le geste), et il sera intéressant analyser les rapports entre discours et geste.
Mots clés: menace/menacer, actes de langage, iconologie, Homère, Cicéron

Christopher Tindale, Aristotle’s Gaze: Discovering Rhetoric’s Vision

Abstract: The paper explores ways in which rhetoric might be seen as a capacity common to both rhetors and audiences. The discussion develops through a reading of the central definition of Aristotle’s Rhetoric, with attention paid to two key terms: dunamis and theoresai. It is argued that the rhetor and audience do not see the same thing. The rhetor, surveys what is available in any case and chooses according to the audience to be addressed. What the audience then “sees” is the choice, made present and brought before the eyes and activated there. Both activities speak to an underlying capacity to be ‘rhetorical’.
Keywords: actualization, argumentation, Aristotle, capacity, seeing

Martin-Ulrich Claudie, Consoler à la Renaissance : discours privé ou acte public ?

Résumé: L’article entend montrer la place de l’acte de consoler à la Renaissance en France, dans un corpus de textes en prose mettant en scène la figure du mourant consolateur des vivants. Il s’interroge sur les usages rhétoriques et éthiques de la consolation pour tenter d’appréhender les rapports croisés entre discours et actes et privé et public.

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